L’urbanisme participatif au Québec

mai 23, 2017




Problématique

Depuis l’industrialisation, la proportion de personnes vivant en ville a explosé. En effet, elle est passée de 15% en 1851 à 48% en 1911 et finalement 81% en 2011[1]. Ce fort accroissement est lié au développement des techno- logies agricoles, à la création de surplus agricole et à l’attrait de la ville. Le regroupement des individus dans la ville a sans doute amélioré leur qualité de vie, mais un grand nombre d’enjeux et de défis sont liés à son organisation. Au Québec, ce sont les urbanistes qui ont la tâche de penser la technique et l’organisation de la ville, en travaillant avec les élus, les acteurs privés et la population. Les décisions qui sont prises sur les enjeux urbains ont des conséquences directes sur notre vie quotidienne. Par exemple, cela peut influencer la sécurité des routes pour les enfants, le temps que cela nous prend pour se rendre au travail, l’inspiration ou la joie que nous ressentons en croisant une œuvre d’art ou en fréquentant un Parc. Cela a également des effets sur des enjeux de société plus globaux comme la justice sociale et l’environnement. Pourtant, ces décisions semblent se dérouler en dehors du jeu démocratique conventionnel et elles semblent plutôt être remises entre les mains d’experts, tout en entraînant un désengagement de la population vis-à-vis de ces questions. Il semble donc important de faire le point sur le processus décisionnel concernant les enjeux en matière d’aménagement du territoire et d’évaluer le pouvoir du peuple dans ce dernier. Par la suite, un regard sur ce qu’il se fait à l’international peut nous donner des idées sur la façon d’accroitre la place des habitants dans ce processus.

Les acteurs

Au Québec, on repère 4 acteurs principaux dans le processus de décision sur les enjeux d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Les acteurs les plus influents actuellement sont les élus municipaux. Ce sont eux qui, par l’entremise des conseils municipaux, des MRC ou de la Communauté métropo- litaine, font les propositions et les ratifient. Ensuite, il y a les experts, qui se trouvent à être les urbanistes membres de l’Ordre des urbanistes du Québec (OUQ). C’est à eux que revient la tâche de concevoir les Plans métropo- litains d’aménagement et de développement (PMAD), les Schémas d’aménagement et de développement (SAD) ainsi que les plans d’urbanisme. Les deux derniers acteurs sont les promoteurs et les citoyens. Ces derniers n’ont pas de pouvoir décisionnel, à l’exception des référendums municipaux. Leur rôle est plutôt d’influencer la décision des élus par l’entremise des processus de consultation qui sont encadrés par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU).

Les mécanismes de consultation au Québec

Après l’élaboration d’un projet d’urbanisme et sa présentation dans une MRC, CMM ou un conseil de ville, un processus de consultation publique peut être enclenché. Comme mentionné plus haut, ce processus est encadré principalement par la LAU. Pour être éligible à une consultation publique, le projet doit d’abord répondre à de grands critères tels qu’avoir « des répercussions sur la qualité du milieu et du cadre de vie des citoyens »[2]. Ensuite, les communautés ont le rôle d’informer les citoyens concernés sur le projet et d’organiser des assemblées où les citoyens pourront poser des questions et donner leurs opinions. À la fin du processus, un rapport sur ce qui a été dit lors des consultations est fait et c’est les élus qui décident d’adopter le projet avec ou sans modifications. Dans certains cas, un référendum municipal peut s’organiser. Il s’agit du seul moyen pour les citoyens d’avoir un pouvoir décisionnel. Pour ce faire, la proposition doit concerner la « modification de certains objets des règlements de zonage et de lotissement : les usages, les constructions, la densité d’occupation du sol, la dimension et le volume des constructions, les marges de recul, les normes de stationnement, les contraintes de nature anthropique, les dimensions et superficies des lots »[3]. Il faut ensuite, qu’une pétition soit signée par au moins 12 personnes, afin que le référendum ait lieu.
Il existe d’autres mécanismes de consultations qui ne sont pas régis par la LAU, tels que le Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) et les Conseils de quartier. Ces derniers comportent des dimensions intéressantes, mais dépendent toujours, au final, de la bonne volonté des élus. D’ailleurs, l’existence des référendums municipaux et du BAPE est aujourd’hui remise en cause par les élus[4].

L’urbanisme participatif

Comme mentionné plus haut, les mécanismes décisionnels font principalement usage de la consultation au Québec. Cependant, la consultation ne se retrouve pas très haut dans l’échelle de participation[5]. Le fait que la population soit informée et que la parole leur soit donnée est une bonne chose, mais le problème vient du fait que le projet est entièrement élaboré avant d’être présenté aux citoyens et le pouvoir de ces derniers n’est pas décisionnel. Afin de pallier à cela, plusieurs prônent un virage vers un urbanisme participatif. L’urbanisme participatif sous-entend que le projet d’aménagement se construit à travers l’interaction entre le peuple et les experts. Le citoyen est donc présent dès la première étape du projet et en est même parfois l’initiateur. Ces instances démocratiques se fondent sur la rencontre du savoir technique des experts et du savoir pragmatique des citoyens. Le savoir des citoyens est d’une grande richesse et se présente sous trois aspects. Le premier est le savoir d’usage, qui correspond à ce qu’ont acquis les citoyens par l’expérience de leur quartier à tous les jours. Le deuxième est le savoir technique. Certains ont déjà un savoir technique relatif à l’aménagement du territoire, tandis que d’autres l’acquérons en se présentant régulièrement aux assemblées et en recevant de l’information. Finalement, il y a le savoir militant, qui permet de mobiliser et de faire porter des messages. Le bon équilibre de ces savoirs, avec celui des urbanistes et des élus, permet l’élaboration de meilleurs projets plus près des besoins du peuple. On peut ajouter comme avantage que cette pratique favorise l’accessibilité sociale au projet et qu’elle favorise une gouvernance démocratique. Il s’agit d’un partage, car les experts ne sont pas exclus du processus. Leur rôle est de concevoir et proposer des solutions techniques aux problèmes soulevés par les citoyens.
L’urbanisme participatif suscite donc la participation des citoyens lors de l’élaboration du projet et de la prise de décision, mais cela n’est pas tout. En effet, pour certains projets, les citoyens peuvent même être amenés à participer à la construction du projet (au sens littéral) avec, par exemple, des activités de plantation. De ce fait, on assure leur participation à chacune des étapes du projet jusqu’à son inauguration. Bref, voilà ce qui différencie l’approche de la consultation à celle de l’urbanisme participatif. 

Exemple d’urbanisme participatif

ZAC de bonne après les travaux
De multiples exemples d’urbanisme participatif existent à l’étranger. Parmi ceux-là on retrouve les écoquartiers en France. L’écoquartier est un label fait par le Ministère de l’environnement afin de favoriser la transition vers des quartiers qui respectent les standards du développement durable et qui répondent aux besoins des habitants. Pour se mériter le label d’écoquartier, il faut respecter les 20 engagements que le ministère a établis. Parmi ceux-là on en retrouve un qui est particulièrement intéressant du point de vue de l’urbanisme participatif. Il s’agit de l’engagement 2 : « Formaliser et mettre en œuvre un processus participatif de pilotage et une gouvernance élargie créant les conditions d’une mobilisation citoyenne »[6]. Un bon exemple d’écoquartier est ce qui a été réalisé à Grenoble au Zac de Bonne. Le projet visait à transformer le site de plusieurs milliers de mètres2 d’une ancienne caserne en un espace vert ou se mélangent parc, logements, logements sociaux et aire commerciale[7]. Ce projet a la particularité de répondre à l’ensemble des engagements de l’écoquartier et être un modèle au niveau de la participation citoyenne en organisant des activités de concertation à chaque étape[8]. La concertation suppose un réel échange entre les acteurs, contrairement à la consultation. 

Des exemples plus modestes et locaux existent aussi. Le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM) est un bon exemple d’acteur du milieu communautaire qui fait la promotion de l’urbanisme participatif et qui l’intègre dans ces projets. Leur collaboration avec l’arrondissement sud-ouest dans le cadre de la revitalisation d’une rue du quartier Saint-Henri en est aussi un bon. Il y avait un espace de 600 mètres de long asphalté au centre de la rue qui n’avait pas de fonction et qui était principalement utilisé comme stationnement illégal. Un processus participatif a donc été enclenché avec les citoyens pour connaître leurs besoins et leurs propositions à propos de cet espace. La consultation a débouché sur la création d’une rue résidentielle conviviale ayant «des espaces de détente, de jeu et de jardinage,  7 000 m2 de verdure, une centaine d’arbres et 1 800 arbustes »[9]. De plus cela a réduit le phénomène d’îlot de chaleur et a augmenté la sécurité du quartier « grâce à la fréquentation et à l’animation du site »[10]. Ces deux exemples nous montrent bien ce que l’approche participative permet d’accomplir et pourquoi c’est une pratique qui mériterait de s’étendre rapidement sur le territoire québécois.

Rue du quartier Saint-Henri avant travaux

Woonerf du quartier Saint-Henri après travaux.










Conclusion

En conclusion, le Québec prévoit effectivement une dimension de participation dans son mécanisme de prise de décision en matière d’urbanisme. Cependant, cette participation se limite très souvent à la simple consultation qui ne requiert pas de réels échanges entre les acteurs et n’accorde pas de pouvoir décisionnel au peuple. De plus, les projets sont généralement conçus avant d’être présentés aux citoyens. La solution se retrouve donc dans la pratique d’un urbanisme participatif. Cette pratique sous-entend que le citoyen est inclus et a un impact à chacune des étapes d’un projet. Plusieurs exemples démontrent l’efficacité de cette pratique telle que les écoquartiers en France et la revitalisation de la rue du quartier Saint-Henri a Montréal. La prochaine étape est donc de continuer la mobilisation des acteurs communautaires afin de propager cette pratique et que le gouvernement finisse par intégrer l’urbanisme participatif dans ses mécanismes de prise de décision.


Par Samy Kaâniche



[1] Statistique Canada. (2013, 13 février). Population urbaine et rurale, par province et territoire (Québec).
[2] Affaire municipales et occupation du territoire. (2010). Guide La prise de décision en urbanisme : Acteurs et processus, Mécanismes de consultation publique en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme.
[3] ibid
[4] Denis Lessars. (21 février 2017). Martin Coiteux maintient l'abolition des référendums municipaux. Lapresse.
[5] Centre d’écologie urbaine de Montréal. (2015).L’urbanisme participatif : Aménager la ville avec et pour ses citoyens.
[6] Ministère du logement et de l’habitat durable. Charte écoquartier : Label écoquartier étapes 1 2 3 4.
[7] Centre de ressources pour les plans climat-territoriaux vers la transition énergétique. (2014). Aménagement de la ZAC de Bonne.
[8] Jacotte Bobroff.(2011).  La caserne de bonne à Grenoble : Projet emblématique d’un développement durable à la française.  P.U.C.A.
[9] Centre d’écologie urbaine de Montréal. (2015).L’urbanisme participatif : Aménager la ville avec et pour ses citoyens.
[10] ibid
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